Le Crazy Horse, dans la fabrique du rêve

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Mise à jour le 28/10/2016

Crazy Horse
A l’occasion de la première "Semaine des cabarets parisiens", nous avons eu le privilège de plonger dans les coulisses du légendaire Crazy Horse. Il était de notre devoir de partager avec vous cette expérience, d’où il ressort que le glamour de cette maison qui fête ses 65 ans, est un travail de tous les jours.

Retour vers le passé

Le Crazy Horse ? Une authentique institution, aux côtés du Lido, du Paradis Latin ou du Moulin Rouge. Chic français, strass et paillettes, on s'y pare des mêmes atours que dans les cabarets les plus prestigieux, ou plutôt, on s'y dévêtit : au Crazy on célèbre avant toute chose le corps des femmes, et on pratique un art de l'effeuillage porté à son sommet. Lorsqu'il fonde l'établissement en 1951, Alain Bernardin cherche en effet à créer des spectacles alliant danseuses classiques, aux corps parfaits et cambrés, aux influences musicales et vestimentaires du moment. Chacun des numéros est conçu comme un tableau impertinent, pensé autour d’une chorégraphie, d’un décor et de projections. Éternelle ambition de l'esthète, jusqu'à sa mort en 1995: sublimer le corps des femmes, quête qui mènera au rayonnement international de la griffe Crazy.

Crazy Horse
En 2006, le Crazy Horse voit l'arrivée à la direction artistique d’Andrée Deissenberg, avec pour mission de "réveiller la belle endormie", en clair, de rajeunir un brin l'image de la vieille dame. Après la rénovation de la salle en 2007, débutera ainsi une succession de collaborations avec des femmes célèbres, telles Dita Von Teese, Arielle Dombasle, Pamela Anderson… Le point d'orgue du renouveau étant la création d’une nouvelle revue sous la houlette de Philippe Découflé et d’Ali Madhavi. Une ligne artistique finalement dans l'esprit de l'âge d'or du Crazy, où le cabaret avait invité Dali ou César…

Descente en coulisses

Pénétrer les coulisses du Crazy Horse est une aventure. Construit sur l'emprise d'anciennes caves, les plafonds y sont bas, et l'espace précieux. On débute la visite par le desk, véritable cœur des coulisses, par lequel transitent tous ceux qui font vivre le lieu au quotidien, et dont les artères, dédales d’escaliers exigus et de couloirs étroits que les habitués empruntent les yeux fermés, mènent aux fonctions vitales de l'établissement. Tout y est teinté de rouge, baigné d’une lumière tamisée, notamment l'ancien bureau d'Alain Bernardin, devenu un boudoir exquis pour des réunions de travail qu'on devine sans mal pleines de chaleur. La pointeuse trône encore sur un mur, vestige du passé où l'exotisme des noms des danseuses se confronte au pragmatisme des impératifs du salariat…
Crazy Horse

L'atelier costumes

L'on se glisse à pas feutrés dans l'atelier costumes, entourés de cartons d'éléments de costumes, de toques et d’escarpins, où s'affairent quatre paires de mains autour d'une vaste table de travail. Les gestes sont délicats et précis, travaillant les pièces uniques avec toute la minutie qu'elles requièrent. On y répare les petits accidents de la veille, mais surtout on réalise les costumes des nouvelles danseuses. Toutes les tenues sont créées en interne, du premier au dernier point de couture, sur mesure pour chacune d'entre elles. Seules les pièces de lingerie sont produites en usine, comme celles qui sont au cœur du spectacle actuel. Chantal Thomass et son univers en rose et noir sont en effet en vedette jusqu'à la fin de l'année, en tant qu'artiste invitée. Elle a ainsi créé pour l'occasion quatre numéros originaux, et mis sa patte sur certains passages de la revue, notamment concernant certaines parures.

Crazy Horse / Atelier Costume

Dans la confection des costumes, les couturières restent les garantes de la touche Crazy

Amélie Escotte, costumière
Pour les costumières, les périodes de travail les plus intenses restent bien sûr les semaines de préparation d'un nouveau show impulsé par un artiste invité, puisque tout est à réinventer, à commencer par les costumes. Elles sont pourtant loin d'être cantonnée à un rôle d'exécutantes: les échanges avec les créateurs sont nombreux et une certaine latitude créative leur est confiée.

Répétition studieuse

On quitte l'atelier pour surprendre discrètement une séance de répétition. On découvre ainsi la mythique salle, dans tout son dénuement. On est frappé par l'omniprésence du velours, seconde peau des lieux, ainsi que par les nombreux miroirs. Ici l’on ne peut se cacher, la scène est réfléchie en tous points de la salle, on ne peut échapper à ce qui s'y joue. Une scène comme un cadre en cinémascope, une écrin exactement dessiné aux mensurations de danseuses.
Deux danseuses répètent « Strip-tease moi », l'un des numéros phares du spectacle du soir, avec en vedette le célèbre canapé rouge en forme de lèvres pulpeuses, inspiré de Dali. Vénus Océane et Lolita Kiss Curl, juchées à des altitudes indécentes sur les escarpins d'un célèbre chausseur parisien, déploient d'emblée tous les trésors de volupté dont elles sont capables. Elles font corps avec l'objet, s'y laissent glisser, s'enroulent sur ses reliefs, tout en mouvements de jambes langoureux, caresses légères et chevauchements affolants…

Crazy Horse
A la baguette de cette séance, on retrouve Svetlana Konstantinova, directrice de scène et de production. Dans une ambiance détendue, voire complice entre les artistes et leur chef d’orchestre, elle dirige les corps comme des instruments, les manipule, les cambre, distille des conseils de jeu, d’expression… Svetlana, qui a longtemps été danseuse et capitaine au Paradis Latin, a étroitement collaboré avec Philippe Decouflé lors de la création du spectacle "Désirs", faisant le lien entre les danseuses et le chorégraphe. Le glamour n’est pas une industrie ici, il est à visage humain. Mais il nécessite travail et discipline, et ne doit rien au hasard. Le réel fait d’ailleurs irruption en pleine répétition, interrompue brièvement par un coup de fil concernant un souci d'heures supplémentaires…

Dans la loge des danseuses

C'est un véritable sanctuaire, strictement interdit aux hommes. Conscient du privilège accordé, on s'y faufile un brin fébrile, traversant un étroit corridor bordé de petits boxs attribués à chaque danseuse. On recroise Lolita Kiss Curl, pleine d’un charme presque timide et d’autant plus désarmant, qui deviendra pourtant le soir venu l’une des danseuses les plus troublantes du show, et l’assurance altière de Dekka Danse, qui sera elle la soliste d’un des clous du spectacle.
Toutes deux ont pratiqué durant de longues années la danse classique, avant de tenter le difficile concours (plus de 500 candidates chaque année) pour intégrer la troupe. Le style de danse au Crazy étant évidemment hors normes, dénudé, érotique, l’œil des recruteurs doit savoir déceler, outre l'excellence technique, un potentiel de sensualité qui sera développé les mois suivants, grâce à une formation destinée à transformer les recrues en authentiques crazy girls, et aussi aux précieux conseils des « anciennes ».
Loges du Crazy Horse
Les nouvelles danseuses doivent ainsi se fondre dans un moule, de la taille imposée (entre 1,68m et 1,73m), à une même façon de danser, en passant par l'apprentissage du maquillage approprié. Leur corps est leur instrument de travail, elles doivent l’entretenir, surveiller ses humeurs, et se confronter chaque jour à leur image… Si elles abandonnent ainsi une part d’elles-mêmes dans ce relatif formatage, elles sont toutefois loin d'être des clones, Chacune se voit attribuer un nom de scène à son premier spectacle, incarne un personnage, et apporte un talent personnel, donnant aux numéros toute leur saveur.

La magie du spectacle

La collaboration avec Nuit Blanche 2016, dans les jardins du Petit Palais, nous a tout particulièrement tenu à cœur

Silvia Reissner, responsable de la communication
Évidemment, on ne pouvait clore cet article sans vous parler du spectacle. Durant une heure trente, tableaux et numéros se succèdent sans temps mort, rythmés, colorés, sophistiqués. Si subsistent quelques rares références un brin kitsch, propres à séduire les touristes étrangers avides de chic parisien, le show est d'une remarquable modernité, d'un haut niveau technique comme artistique. La faute de goût est un risque que l’on traque, la frontière entre le sensuel et le vulgaire étant parfois ténue… Le cabaret ne se situe clairement pas sur le même créneau que les autres grandes revues parisiennes (qui valorisent plutôt un Paris "d'antan"), aussi il peut se renouveler en faisant appel à des créatifs talentueux, prestigieux, des collaboration qui se multiplient depuis une dizaine d'années.
RiccardoTinelli@RougirDeDesir02-MD
Le Crazy Horse a ainsi su diversifier son audience ces dernières années. Attirés par les artistes ayant associé leur nom au cabaret, un public plus "urbain" se presse pour assister aux spectacles, de plus en plus composé de femmes, au point de constituer la moitié de l'assistance. On y accueille même des enterrements de vie de jeune fille, signe que l'image du Crazy s'est largement dépoussiérée.

Il y a de vrais moments de grâce dans ce spectacle créé par Découflé et revisité par Chantal Thomass: les mouvements sublimes de la silhouette de Dekka Danse, portée par la voix céleste d’Antony and the Johnsons dans "Rougir de désir" ; le strip-tease frontal et brûlant de Venus Océane dans "Crisis ? What crisis ?" ; le ballet pop sixities haut en couleurs "Chuchotements", rythmé par un easy listening du plus bel effet… Le show est d'une grand variété mais cohérent de bout en bout, et parvient à saisir une vibration érotique en phase avec son temps, entre respect de la tradition et grande modernité. On n'y assiste pas à une exposition de nudité crue, mais bien à une véritable symphonie des corps, exécutée avec grâce, entre ciseaux et frôlements de jambes satinées, ondulations lestes, cambrures idéales, quasi irréelles… Un jeu permanent du montré et du suggéré, du champ et du hors-champ, de l’ombre et la lumière, On en ressort bluffé.

AntoinePoupel©Chuchotements_L
Cette semaine des cabarets est une première, que ses promoteurs espèrent renouveler à l’avenir. La volonté commune des cabarets parisiens d'agir pour valoriser leur patrimoine commun est grande, et les idées foisonnent comme, pourquoi pas, créer un pass permettant d'accéder à différents établissements…

Crédits photo : Jean-Baptiste Gurliat pour les coulisses, Riccardo Tinelli et Antoine Poupel pour le spectacle.

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